Philippe Grapinet n’eut guère le choix, et s’avança d’un air monotone et curieux vers l’homme au chapeau melon qui, effectivement, s’appelait Jean-Jacques. Il n’arrivait pas à croire que ce fut lui, son ancien ami, ex-directeur du Train qui tourne en rond, que l’on recherchait pour avoir commis un tel forfait. Monsieur Grapinet, décontenancé par la présence de Jean-Jacques, lui répondit ainsi : « Cesse donc de faire parler ton costume, et explique-moi ce que tu fais là ». Le ton se voulait amical, mais l’homme au chapeau melon y sentit une pointe d’agressivité. « Je t’attendais. Il y a beaucoup de choses que tu dois savoir. Le Cerisier a parlé », et le visage de Monsieur Grapinet se couvrit d’effroi : l’opération du Temps des Cerises avait été déclenchées. On allait remettre les pendules à l’heure.
Jean-Jacques entraîna Philippe Grapinet dans l’arrière-boutique de la station essence, qui n’avait rien d’une arrière-boutique de station essence. S’y trouvaient en effet une multitude de sièges, où des gens munis d’une montre attendaient. Ce point surpris Monsieur Grapinet : les montres, interdites depuis l’arrêt des pendules. Et puis, elles étaient extrêmement difficiles à trouver, car elles donnaient l’heure officielle. Tous ces gens qui connaissaient l’heure regardaient fixement un écran blanc, et tous se levèrent à l’arrivée des deux hommes. Pas un mot, et chacun se rassis.
Grapinet pris place au premier rang, et Jean-Jacques lui expliqua qu’il avait volontairement commis ce forfait pour attirer son attention sur un problème bien plus grave. A ce moment, une porte s’ouvrit du fond de la salle, et l’homme qui avait été kidnappé entra, suivit de deux autres chargés de le surveiller. Ce n’était pas n’importe qui : cet homme était le dernier descendant des horlogers diatoniques, et hormis ceux qui travaillaient au Gouvernement, lui seul savait comment remettre le temps en marche.
Jean-Jacques s’adressa à l’assemblée. « Nous sommes réunis ici, en tant que Comité du Temps qui marche. J’ai sollicité l’aide, comme convenu avec le Cerisier, de la cellule résistante du Train qui tourne en rond. » Cette évocation provoqua quelques remous dans la salle, et l’homme kidnappé écarquilla les yeux. Jean-Jacques reprit. « De plus, nous avons ici un invité d’honneur : ce monsieur a échappé au recrutement obligatoire des horlogers. Il descend directement, avec huit générations d’écart, du grand Fernand Aiguille, maître horloger créateur de la pendule diatonique, et forcé à l’arrêt du temps de son vivant ! » Les gens avec des montres se levèrent d’un coup pour regarder cet homme, héros malgré lui. L’homme, très grand et très vieux, parla : « Je m’appelle Fernand Mikos Aiguille Junior, et j’ai besoin de vous ! »
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