Service confinement, bonjour ! – Fin – Le déconfinement

confinement - déconfinement - tarte

— Service confinement, bonjour ! Que puis-je faire pour vous ?

— Bonjour, Madame, vous vous souvenez de moi ?

—  De vous ? ça ne me dit rien.

—  Mais si, je suis le Monsieur du premier épisode.

—  Mais de quel épisode parlez-vous, m’enfin ?

—  Enfin Madame, vous ne lisez pas la presse ?

—  Non, j’ai arrêté en ce moment…

—  Eh bien figurez-vous que c’est le dernier épisode aujourd’hui.

—  Mais comment cela ? je vais disparaître, c’est ça ?

—  Eh bien, tout comme moi, je le crains…

—  Ah ! C’est terrible ! La fatalité !

—  Mais non ma p’tite dame, ‘vous faites pas de bile : ça veut dire qu’on peut à nouveau sortir dehors.

—  Vous voulez dire que c’est la fin du confinement ?

—  Ben, oui. Vous ne lisez vraiment pas la presse, hein.

—  Non. Qu’est-ce qu’il vous faudrait ?

—  Des livres !

—  Proust ?

—  Comment vous savez ?

—  Je me souviens maintenant.

—  Ah, ça vous est revenu ?

—  Oui, mais je voulais être sûre. On a pas reçu de livraisons, mais j’en ai gardé quelques-uns.

—  Qu’est-ce que vous avez ?

— Toute la Recherche.

— Toute ?! et vous appelez ça « quelques-uns » ?

—  C’est pour une lecture personnelle.

—  Comment ça ?

—  Eh bien, j’avais commandé secrètement Proust en prévision…

— C’était donc vous !

—  …et puisqu’on m’a rien dit sur le déconfinement, je crois que je vais rester confinée un petit moment, le temps que ça se tasse.

—  Je vois. Vous m’envoyez le tome un ?

—  De suite. Au revoir Monsieur.

—  Au revoir Madame.

—  Ah et Monsieur ?

—  Plaît-il ?

—  Vous passerez le bonjour à Gertrude de ma part.

Service confinement, bonjour ! – Episode 5

— Service confinement, bonjour ! Qui va là ?

— Corrina ? c’est Gertrude !

— Gertrude ? t’es déjà déconfinée ?

— Non, mais j’suis sacrément déconfite.

— Comment ça ?

— Figures-toi qu’ils ont toujours pas livré Proust pour mon ami. Tu t’en souviens, il t’avait appelé y’a trois semaines ?

— Non, j’vois pas. Dis voir, tu n’as rien d’autres à lire en attendant ? Je sais pas moi, du Modiano ?

— J’aime pas Modiano.

— Zut. Salinger peut-être ?

— Je lis pas l’anglais.

— Bon, je vois. Je vais voir si j’en ai en rayon, du Proust…

— Ça m’étonnerai.

— Pourquoi donc ?

— Patrick a fait une descente hier, et y’en…

— Patrick ?! Mais comment ça Patrick ?! je croyais qu’il était à l’hosto !

— Faut croire que non. Il avait l’air en pleine forme.

— Tu y étais aussi ?! A braquer mon magasin en pleine pandémie ? GERTRUDE !!

— Bip.

— M’enfin…

— Service confinement, bonsoir ?

— Corrina ?

— Aymeric ?

— Qu’est ce qu’il y a ?

— Tu saurais pas où était Gertrude hier soir vers 20 heures ?

— Gertrude ? si, j’étais justement avec elle en train de…

— Tu y étais AUSSI ?!

— Ecoutez, M’dame Corrina, c’est-à-dire que…

— Proust ne veut plus vous voir ! Et si vous revenez encore, d’ici le 11 Mai, vous aurez des problèmes…!

Service confinement, bonjour ! – Episode 4

— Bon, il fout quoi, l’ami Patrick ?

— Qu’est-ce que j’en sais, c’est toi qui l’a appelé.

— Je lui avais dit 20 heures tapantes. Et il est pas encore là. Dis-moi, Gertrude, quelle heure il est ?

— J’en sais rien, p’tet’ 20 heures, p’tet’ pas.

— Comment ça, « peut-être » ? elle dit quoi ta montre ?

— Habituellement, j’écoute les cloches sonner, mais…

— Mais Gertrude, tu ne les entends plus depuis l’an 40 !

— J’entendais pas les obus non plus, et c’était pas un moindre mal !

— Oui, bon si ça se trouve…

— Alors, on attend pas…Patrick ?

— Patrick, enfin !

— Comment va, Aymeric ?

— Patrick ? t’as pris un coup de vieux on dirait.

— ET TOI GERTRUDE, COMMENT TU VAS ?!

— Hein ?

— Elle est toujours aussi sourde ?

— Toujours.

— Elle ne s’arrange pas avec le confinement, elle…

— C’est sûr. Bon, ç’en est où du braquage ?

— Tout est prêt. Y’a plus qu’a espérer ne pas croiser les flics en sortant.

— Je m’en suis occupé. On dira qu’on passait voir Gertrude, ça fera l’affaire.

— Ouais. Et puis qu’est-ce que ça peut bien nous foutre, de payer cent euros chacun ?

— Doucement Patrick, on a pas fait fortune dans les Panzini, nous.

— C’est Panzani, je crois !

— On t’a pas sonnée, Gertrude !

— Alors, on y va ?

— Ouais.

— …

— …

— Gertrude ?

— Hein ?

— GERTRUDE !

— Oui ? Parlez moins fort, vous deux !

— Bon. Il est où le rayons bouquins.

— D’après Corrona, il est au fond à gauche ?

— A côté de Libé ? Et c’est Corrina, je crois ?

— Qu’est-ce que t’en sais ? Oui, à côté de Libé, y’avait plus de place ailleurs.

— Je m’en charge. Patrick, va démarrer le camion, les gens vont bientôt arrêter d’applaudir.

— J’y cours.

— Alors Gertrude, tu voulais Proust, c’est ça ?

— …

— Gertrude ?

— C’est pas pour moi, c’est pour un ami.

 

Service confinement, bonjour ! – Episode 3

— Alors, Aymeric, tu as appelé le magasin ?

— Oui, mais ils ont rien voulu savoir. A ce qu’il paraît, il faut attendre 15 jours.

— 15 de plus ou de moins, qu’est-ce que ça peut leur faire, à eux ?

— J’en sais foutument rien, Gerprude, mais…

— Puisque j’te dis que c’est Gertrude !

— Oui bon, c’est pareil. Et toi, tu leur as soutiré des infos ?

— Non, la concurrence reste rude. Je pensais que ça serait un avantage de bosser à la supérette d’à côté, mais enfin ! ils sont pénibles, au magasin.

—D’ailleurs je ne t’ai pas raconté, j’ai croisé Corrina hier, à 20h.

— Ah, et qu’est-ce qu’elle disait, Corrona ?

— Puisque j’te dis que c’est Corrina !

— Ouais, m’enfin on est toujours pas sortis de l’auberge avec celle-là. Elle disait quoi ?

— Elle disait qu’elle était sortie pour acheter son pain, et qu’elle aurait vu tout le monde en train d’applaudir.

— Bof, moi les applaudissements, ça fait longtemps que je les entends plus, avec mes problèmes d’audition. Déjà qu’en 40, j’entendais pas les obus…

— Gertrude, enfin !

— Un problème ?

— On est pas en 40 !

— Oh, tu sais, moi, les années…

— Tu devrais relire Proust.

— Tu m’as dit qu’ils en avaient pas.

— Ils auraient dû. J’ai demandé à Corrina.

— On ne sait jamais, avec Corrina.

— …

— …

— Gertrude, au fait, pour le camion, on fait comment ?

— On attendra qu’ils livrent tout.

— Et pour Patrick ?

— On attendra Patrick aussi. Ils se chargera du reste.

— …

— Au fait, ils applaudissent pour quoi, les gens, à 20h ?

— Il paraît que c’est pour les soignants.

— Mais les soignants de quoi ? Je les vois tous les jours et presque rien n’a changé.

— Gertrude, tu es chez toi avec des…

— Ne me fais pas la leçon, Aymeric !

— D’accord, mais tu ne sais pas…

— Je ne veux pas savoir !

— Bon, très bien. Mais quand il va s’en prendre à toi, tu sauras.

— Qui ça ?!

— Au revoir, Gertrude.

Service confinement, bonjour ! – Episode 2

— Ah, Monsieur, c’est encore vous ?

— Oui, mais c’est encore vous aussi, Madame !

— En effet. D’ailleurs, vous ne m’avez pas dit votre nom.

— Aymeric. Et vous ?

— Corrina. Mais depuis quelques temps on m’appelle Corona. Les préjugés ont la vie dure, vous savez…

— Je comprends. J’ai vu les policiers ce matin, je suis sorti pour trouver des livres. Ils m’ont même pas contrôlé.

— Peut-être qu’ils avaient autre chose à faire.

— Peut-être. Des nouvelles  de Proust ?

— Toujours pas arrivé. J’ai pourtant dit que je le commandais pour vous.

— Pour moi ? Mais qu’avez-vous dit exactement ?

— Disons que j’ai dit que c’était pour un ami.

— Je vois. Puis-je oser une indiscrétion, Madame ?

— Je vous en prie.

— Que faites-vous donc en attendant Proust ?

— Je fais des mots fléchés, force 4, c’est pas facile tous les jours…

— Je compatis. Mon chat m’attend, je vous laisse.

—Au revoir Monsieur. Bonjour Madame !

— Salut Corriana, c’est Gertrude, de la supérette !

— Ça alors, Gertrude ! qu’est-ce qui te prends de m’appeler sur la ligne du service ? Et je t’ai déjà dit que c’était Corrina.

— Oui, bon, c’est la même chose. J’ai perdu ton numéro, figures-toi.

— Et tu pouvais pas venir me le demander ? On bosse ensemble !

— Ben non, je suis confinée dans la pièce d’à côté.