Haut les chœurs ! #3 – les séquoias (Analyse)

pochette album les failles pomme

Pourquoi j’ai choisi les séquoias

Haut les chœurs ! Après mon analyse d’une chanson de Bob Dylan (que je ne peux que vous recommander, et je parle bien sûr de la chanson), retour dans le présent avec les séquoias, un titre de Pomme dont les notes ont agréablement bruissé dans mes oreilles. Plus que d’autres, c’est particulièrement cette chanson qui m’a donné envie de découvrir l’artiste. Il est vrai que j’étais déjà familier avec la chanson française (j’en parlerai dans un prochain Haut les chœurs !), mais une chanson française plus traditionnelle, plus ancienne peut-être, et sans doute, disons-le, moins sophistiquée. Comme d’habitude, je vous conseille d’écouter, voire de réécouter la chanson avant de lire mon analyse : cela facilitera votre lecture et la rendra plus agréable !

Une ode à la nature en détresse

C’est la première chose qui m’a touché dans cette chanson : l’évocation du lien avec la nature. Certes, on peut trouver d’autres chansons qui évoquent notre rapport au climat, que ce soit la Fièvre de Julien Doré ou le « ciel noir » évoqué par Gauvain Sers. Mais ces titres restent dans une tonalité très sombre, dressant le constat qu’il est déjà trop tard pour la nature. Ici, on retrouve le topos (dérivé de topique, désigne un sujet récurrent) de la nature personnifiée, avec la mention au refrain des « arbres assassinés ». Néanmoins, une lueur d’espoir perce encore dans la folle destruction de la nature par l’humanité, matérialisée par l’irruption des trémolos du piano. En effet, la répétition anaphorique de l’adverbe « avant » indique l’infime possibilité de recréer avec la nature un lien disparu.

Par ailleurs, j’ai trouvé que la structure de la chanson reflétait adroitement cette image d’une nature fracturée et fragilisée. La scansion des deux premiers vers qui ouvrent la chanson met à mal le rythme habituel du mètre, puisque les syllabes sont chantées ainsi : 1-3-3-4, au lieu d’un habituel 5-6 (pour un hendécasyllabe) ou 5-5, 6-4 (pour un décasyllabe). Le lien entre l’être humain et la nature est donc fragile et rare, ce que souligne aussi le jeu en arpèges qui sème doucement les notes.

En cela, les séquoias exprime une forte empathie pour la nature, et l’envisage comme un être vivant. Par conséquent, le je de la chanson rappelle la complémentarité qui peut exister entre l’humain et la nature. Le vers « j’ai respiré en entier pour une fois » met en lumière l’aspect précieux de la nature, non seulement comme essentielle à notre vie, mais aussi comme un monde, une identité-refuge. Et l’on comprend mieux, dès lors, que ce même vers introductif soit aussi celui qui referme la chanson, créant une sorte de bulle. Un refuge, en somme.

Vue en contre-plongée de séquoias géants. © Tristan Brynildsen/123RF. Tous droits réservés.

La nature comme reflet d’une détresse humaine

Un mot sur le titre, que je n’ai pas encore évoqué. Les séquoias fonctionnent bien sûr comme une synecdoque, un symbole de la nature. Plus concrètement, ces arbres sont souvent très grand, avec un tronc imposant et des branches aux multiples ramifications. On peut donc considérer les séquoias comme la représentation d’une nature complexe, à la fois apaisante et protectrice.

Néanmoins, cet aspect protecteur est fragile, et fonctionne en contrepoint de la fragilité du je de la chanson (qui est peut-être l’artiste elle-même). Ainsi, « l’allée des séquoias » est un monde clos avec une ligne de fuite pour seul horizon. Cet aspect entre en résonnance avec le premier refrain, qui mentionne « la rivière asséchée ». J’ai trouvé cette évocation très bien amenée, car il s’agit en réalité d’une syllepse de sens. On peut d’abord interpréter l’image au sens d’une référence à la sécheresse, qui rejoindrait les « caniveaux de la planète » dont parlait Gauvain Sers. Mais on peut aussi la prendre au sens métaphorique des larmes humaines que la nature apaiserait. On peut appliquer la même logique, quoique d’une façon plus ambiguë, au second refrain. « Les arbres assassinés » peuvent dénoncer la déforestation, mais résonnent aussi bien comme l’écho d’une blessure personnelle, par exemple.

De la même façon, le vers qui clôt chaque refrain suit toujours la même structure, avec une personnification des séquoias. Là encore, je vois deux grandes possibilités d’interprétation. D’une part, le renforcement de ce que j’évoquais plus haut, à savoir d’un idéal humain proche de la nature. Mais d’autre part, on peut aller beaucoup plus loin, en émettant l’hypothèse que les séquoias ne désignent que des humains qui sont nature. Je m’explique. La chanson est écrite à la première personne du singulier, mais aurait tout aussi bien pu l’être à la première du pluriel. Les séquoias pourraient avoir comme fonction de rappeler à l’humain sa proximité première avec la nature. Cet aspect est d’ailleurs un topos, caractérisé dans le mythe de l’Âge d’Or que décrit Hésiode dans Les Travaux et les Jours.

Une ballade…qui s’achève un peu vite

Que retenir de cet apaisement qui dure trois minutes et quatorze secondes ? Je dois bien avouer que l’orchestration globale m’a frappé dès la première écoute, et notamment ce triptyque instrumental piano / guitare / voix, plutôt rare de nos jours. Avant de formuler mon appréciation générale, je vais tout de même évoquer quelques points pour nuancer mon analyse plutôt dithyrambique…

D’abord, les vocalises du refrain : elles sont techniquement très réussies, mais je trouve qu’elles n’apportent pas grand-chose. Au moment de la composition, on aurait pu préférer faire ressortir un instrument, le piano par exemple, pour jouer la mélodie. Il y aurait ainsi eu une cohérence entre le repos de la voix et l’apaisement que suggère les paroles.

D’autre part, la brièveté de la chanson m’a laissé sur ma faim. Le réseau d’images propose une évocation ample et sublime de la nature. J’attendais, pour ma part, que cette amplitude se reflète dans le texte : l’autrice aurait pu pousser l’exploration de ce monde des séquoias plus loin, dans plusieurs directions. La chanson n’évoque pas les causes de cet attachement à la nature. Quel est ce personnage qui retient « tous les secrets du vent » ? On ne sait pas. L’idée de solitude aurait aussi pu être introduite moins rapidement. Bref, j’attendais un ou deux couplets supplémentaires pour que l’univers construits soit parfaitement cohérent à mes yeux.

Visuel de la chanson. © Pomme. Tous droits réservés.

Pour conclure : Les séquoias, une ballade introspective humaniste et engagée

Finalement, malgré sa brièveté et quelques points dans la composition qui m’ont déplu, j’ai beaucoup apprécié cette chanson. Sa narration, la pertinence de l’accompagnement, et la technique vocale très fine servent parfaitement l’image d’une allée de séquoias réconfortante mais fragile. Les séquoias propose un univers qui se donne à voir comme un miroir de l’humanité, reflétant l’urgence tout autant qu’une certaine délicatesse existentielle. Et comme l’art ne se note pas, je vous laisse là, et j’espère que vous aurez apprécié cet article. N’hésitez pas à le partager, et surtout : haut les chœurs !

Youtubeurs – Episode 2 – Superflame, le feu dans la voix

Je vous avais parlé, la dernière fois, d’un youtubeur que je suivais depuis fort longtemps. Aujourd’hui, pour ce deuxième article post-confinement – que ne suis-je pas heureux de l’écrire ! – j’ai décidé de me pencher sur l’un des derniers auxquels je me suis abonné : il s’agit de Superflame.

Un imitateur hors-pair…

C’est d’abord par sa voix que Superflame se fait connaître. Il est notamment de passage dans l’émission télévisée La France a un incroyable talent en 2015. Il a d’ailleurs publié une vidéo assez instructive sur le sujet. Mais il émerge en réalité courant 2013, se faisant connaître par ses imitations de personnages ou de célébrités. Mais le youtubeur va plus loin, et sa voix n’est que l’écho d’une imagination qui se déploiera au fil des années. En effet, on lui doit un bon nombre de parodies de reportages télévisés et d’émissions d’information. En plus d’une tessiture qui imite remarquablement celle des journalistes, ces vidéos, bien que courtes, renferment un potentiel créatif certain, tant dans la narration que dans les ressorts comiques utilisés.

…Doublé d’un conteur de fictions

S’il est toujours reconnu pour ses qualités en termes d’imitations, Superflame a indiqué à plusieurs reprises que ce type de vidéos n’était pas, à terme, son objectif créatif. Ainsi, les trois vidéos les plus vues de sa chaîne sont consacrées aux imitations, un travail que le youtubeur reconnaît volontiers comme « facile à produire », et qui l’a largement amené à se diversifier. L’autre pan de la chaîne est en effet consacré à la fiction audio. Superflame écrit lui-même les histoires, qu’il intitule Superflame Stories, et les raconte, face caméra. 

Ce point peut sembler négligeable, mais il est selon moi essentiel. Je m’explique : la plupart des fictions audio ne proposent que les voix brutes, avec pour seul visuel une image fixe, parfois animée. Même avec une grande qualité d’interprétation et d’écriture, et une très belle illustration, le contenu peut devenir, à la longue, redondant. En effet, on ne fait qu’écouter un récit mis en voix. Superflame, en se filmant tel qu’il nous raconte l’histoire, se pose en conteur, et de ce fait nous fait ressentir le récit. Par sa gestuelle, ses intonations, et l’absence d’illustration toute faite, le youtubeur donne vie à ses personnages dans notre imaginaire. Chacun est ainsi libre de se représenter les événements racontés, et seuls la voix et la gestuelle du conteur nous sont prescrites : le reste demeure un monde que chacun peut façonner.

De l’imitation à la création d’un univers

Je ne pourrais pas évoquer ici l’ensemble des projets de Superflame, mais je signale tout de même la volonté du youtubeur de créer, à terme, un univers qui lui est propre, mêlant Superflame Stories, courts-métrages (il a déjà créé la mini-série Andrew Bennett où il campe le rôle du personnage éponyme), et même jeux vidéos. Il a ainsi annoncé la sortie prochaine de Battle for Egadia, jeu de cartes au tour par tour qui se déroule dans le même univers que ses fictions audios.

En résumé, l’essence de la chaîne Superflame, bien au-delà des imitations qui l’ont fait connaître, c’est une volonté de création d’un univers fictionnel à part entière. Cet univers est ensuite partagé à travers différents médiums (autrement dit, plusieurs formats de création). L’ultime but – et ô combien louable –  du créateur est la réappropriation par les viewers du contenu créé. Superflame, par son contenu, se positionne donc comme un créateur-passeur d’histoires, un Grimm des temps modernes.

Quelques vidéos de Superflame

Annonce du jeu Battle for Egadia, qui a lieu dans un univers fictif créé par Superflame.
Vidéo où Superflame détaille ses ambitions et son état d’esprit en matière de création sur YouTube.

Service confinement, bonjour ! – Fin – Le déconfinement

— Service confinement, bonjour ! Que puis-je faire pour vous ?

— Bonjour, Madame, vous vous souvenez de moi ?

—  De vous ? ça ne me dit rien.

—  Mais si, je suis le Monsieur du premier épisode.

—  Mais de quel épisode parlez-vous, m’enfin ?

—  Enfin Madame, vous ne lisez pas la presse ?

—  Non, j’ai arrêté en ce moment…

—  Eh bien figurez-vous que c’est le dernier épisode aujourd’hui.

—  Mais comment cela ? je vais disparaître, c’est ça ?

—  Eh bien, tout comme moi, je le crains…

—  Ah ! C’est terrible ! La fatalité !

—  Mais non ma p’tite dame, ‘vous faites pas de bile : ça veut dire qu’on peut à nouveau sortir dehors.

—  Vous voulez dire que c’est la fin du confinement ?

—  Ben, oui. Vous ne lisez vraiment pas la presse, hein.

—  Non. Qu’est-ce qu’il vous faudrait ?

—  Des livres !

—  Proust ?

—  Comment vous savez ?

—  Je me souviens maintenant.

—  Ah, ça vous est revenu ?

—  Oui, mais je voulais être sûre. On a pas reçu de livraisons, mais j’en ai gardé quelques-uns.

—  Qu’est-ce que vous avez ?

— Toute la Recherche.

— Toute ?! et vous appelez ça « quelques-uns » ?

—  C’est pour une lecture personnelle.

—  Comment ça ?

—  Eh bien, j’avais commandé secrètement Proust en prévision…

— C’était donc vous !

—  …et puisqu’on m’a rien dit sur le déconfinement, je crois que je vais rester confinée un petit moment, le temps que ça se tasse.

—  Je vois. Vous m’envoyez le tome un ?

—  De suite. Au revoir Monsieur.

—  Au revoir Madame.

—  Ah et Monsieur ?

—  Plaît-il ?

—  Vous passerez le bonjour à Gertrude de ma part.

Service confinement, bonjour ! – Episode 5

— Service confinement, bonjour ! Qui va là ?

— Corrina ? c’est Gertrude !

— Gertrude ? t’es déjà déconfinée ?

— Non, mais j’suis sacrément déconfite.

— Comment ça ?

— Figures-toi qu’ils ont toujours pas livré Proust pour mon ami. Tu t’en souviens, il t’avait appelé y’a trois semaines ?

— Non, j’vois pas. Dis voir, tu n’as rien d’autres à lire en attendant ? Je sais pas moi, du Modiano ?

— J’aime pas Modiano.

— Zut. Salinger peut-être ?

— Je lis pas l’anglais.

— Bon, je vois. Je vais voir si j’en ai en rayon, du Proust…

— Ça m’étonnerai.

— Pourquoi donc ?

— Patrick a fait une descente hier, et y’en…

— Patrick ?! Mais comment ça Patrick ?! je croyais qu’il était à l’hosto !

— Faut croire que non. Il avait l’air en pleine forme.

— Tu y étais aussi ?! A braquer mon magasin en pleine pandémie ? GERTRUDE !!

— Bip.

— M’enfin…

— Service confinement, bonsoir ?

— Corrina ?

— Aymeric ?

— Qu’est ce qu’il y a ?

— Tu saurais pas où était Gertrude hier soir vers 20 heures ?

— Gertrude ? si, j’étais justement avec elle en train de…

— Tu y étais AUSSI ?!

— Ecoutez, M’dame Corrina, c’est-à-dire que…

— Proust ne veut plus vous voir ! Et si vous revenez encore, d’ici le 11 Mai, vous aurez des problèmes…!

Service confinement, bonjour ! – Episode 4

— Bon, il fout quoi, l’ami Patrick ?

— Qu’est-ce que j’en sais, c’est toi qui l’a appelé.

— Je lui avais dit 20 heures tapantes. Et il est pas encore là. Dis-moi, Gertrude, quelle heure il est ?

— J’en sais rien, p’tet’ 20 heures, p’tet’ pas.

— Comment ça, « peut-être » ? elle dit quoi ta montre ?

— Habituellement, j’écoute les cloches sonner, mais…

— Mais Gertrude, tu ne les entends plus depuis l’an 40 !

— J’entendais pas les obus non plus, et c’était pas un moindre mal !

— Oui, bon si ça se trouve…

— Alors, on attend pas…Patrick ?

— Patrick, enfin !

— Comment va, Aymeric ?

— Patrick ? t’as pris un coup de vieux on dirait.

— ET TOI GERTRUDE, COMMENT TU VAS ?!

— Hein ?

— Elle est toujours aussi sourde ?

— Toujours.

— Elle ne s’arrange pas avec le confinement, elle…

— C’est sûr. Bon, ç’en est où du braquage ?

— Tout est prêt. Y’a plus qu’a espérer ne pas croiser les flics en sortant.

— Je m’en suis occupé. On dira qu’on passait voir Gertrude, ça fera l’affaire.

— Ouais. Et puis qu’est-ce que ça peut bien nous foutre, de payer cent euros chacun ?

— Doucement Patrick, on a pas fait fortune dans les Panzini, nous.

— C’est Panzani, je crois !

— On t’a pas sonnée, Gertrude !

— Alors, on y va ?

— Ouais.

— …

— …

— Gertrude ?

— Hein ?

— GERTRUDE !

— Oui ? Parlez moins fort, vous deux !

— Bon. Il est où le rayons bouquins.

— D’après Corrona, il est au fond à gauche ?

— A côté de Libé ? Et c’est Corrina, je crois ?

— Qu’est-ce que t’en sais ? Oui, à côté de Libé, y’avait plus de place ailleurs.

— Je m’en charge. Patrick, va démarrer le camion, les gens vont bientôt arrêter d’applaudir.

— J’y cours.

— Alors Gertrude, tu voulais Proust, c’est ça ?

— …

— Gertrude ?

— C’est pas pour moi, c’est pour un ami.

 

Service confinement, bonjour ! – Episode 3

— Alors, Aymeric, tu as appelé le magasin ?

— Oui, mais ils ont rien voulu savoir. A ce qu’il paraît, il faut attendre 15 jours.

— 15 de plus ou de moins, qu’est-ce que ça peut leur faire, à eux ?

— J’en sais foutument rien, Gerprude, mais…

— Puisque j’te dis que c’est Gertrude !

— Oui bon, c’est pareil. Et toi, tu leur as soutiré des infos ?

— Non, la concurrence reste rude. Je pensais que ça serait un avantage de bosser à la supérette d’à côté, mais enfin ! ils sont pénibles, au magasin.

—D’ailleurs je ne t’ai pas raconté, j’ai croisé Corrina hier, à 20h.

— Ah, et qu’est-ce qu’elle disait, Corrona ?

— Puisque j’te dis que c’est Corrina !

— Ouais, m’enfin on est toujours pas sortis de l’auberge avec celle-là. Elle disait quoi ?

— Elle disait qu’elle était sortie pour acheter son pain, et qu’elle aurait vu tout le monde en train d’applaudir.

— Bof, moi les applaudissements, ça fait longtemps que je les entends plus, avec mes problèmes d’audition. Déjà qu’en 40, j’entendais pas les obus…

— Gertrude, enfin !

— Un problème ?

— On est pas en 40 !

— Oh, tu sais, moi, les années…

— Tu devrais relire Proust.

— Tu m’as dit qu’ils en avaient pas.

— Ils auraient dû. J’ai demandé à Corrina.

— On ne sait jamais, avec Corrina.

— …

— …

— Gertrude, au fait, pour le camion, on fait comment ?

— On attendra qu’ils livrent tout.

— Et pour Patrick ?

— On attendra Patrick aussi. Ils se chargera du reste.

— …

— Au fait, ils applaudissent pour quoi, les gens, à 20h ?

— Il paraît que c’est pour les soignants.

— Mais les soignants de quoi ? Je les vois tous les jours et presque rien n’a changé.

— Gertrude, tu es chez toi avec des…

— Ne me fais pas la leçon, Aymeric !

— D’accord, mais tu ne sais pas…

— Je ne veux pas savoir !

— Bon, très bien. Mais quand il va s’en prendre à toi, tu sauras.

— Qui ça ?!

— Au revoir, Gertrude.

Service confinement, bonjour ! – Episode 2

— Ah, Monsieur, c’est encore vous ?

— Oui, mais c’est encore vous aussi, Madame !

— En effet. D’ailleurs, vous ne m’avez pas dit votre nom.

— Aymeric. Et vous ?

— Corrina. Mais depuis quelques temps on m’appelle Corona. Les préjugés ont la vie dure, vous savez…

— Je comprends. J’ai vu les policiers ce matin, je suis sorti pour trouver des livres. Ils m’ont même pas contrôlé.

— Peut-être qu’ils avaient autre chose à faire.

— Peut-être. Des nouvelles  de Proust ?

— Toujours pas arrivé. J’ai pourtant dit que je le commandais pour vous.

— Pour moi ? Mais qu’avez-vous dit exactement ?

— Disons que j’ai dit que c’était pour un ami.

— Je vois. Puis-je oser une indiscrétion, Madame ?

— Je vous en prie.

— Que faites-vous donc en attendant Proust ?

— Je fais des mots fléchés, force 4, c’est pas facile tous les jours…

— Je compatis. Mon chat m’attend, je vous laisse.

—Au revoir Monsieur. Bonjour Madame !

— Salut Corriana, c’est Gertrude, de la supérette !

— Ça alors, Gertrude ! qu’est-ce qui te prends de m’appeler sur la ligne du service ? Et je t’ai déjà dit que c’était Corrina.

— Oui, bon, c’est la même chose. J’ai perdu ton numéro, figures-toi.

— Et tu pouvais pas venir me le demander ? On bosse ensemble !

— Ben non, je suis confinée dans la pièce d’à côté.

Service confinement, bonjour ! – Episode 1

– Service confinement, bonjour ! Je voudrais savoir ce qu’il se passe.

– Vous êtes confiné, Monsieur.

– Mais pourquoi, exactement ?

– A cause du virus, Monsieur.

– On en a pour combien de temps comme ça, Madame ?

– Au moins 15 jours.

– J’ai le temps de lire Proust, vous croyez ?

– Seulement si vous avez déjà les livres.

– Et si je ne les ai pas ?

– Eh bien, lisez autre chose.

– Je ne peux pas les commander ?

– Si, mais vous allez devoir attendre.

– Combien de temps ?

– Au moins 15 jours.

– Donc même pendant le confinement, je ne peux pas lire Proust.

– Lisez Musso, on en trouve à tous les coins de rue.

– Déjà tout lu.

– Eh bien, relisez-le.

– Je vais essayer. Merci Madame.

– Je vous en prie. Service confinement bonjour !

– Bonjour Madame, je suis bien au service après-vente ?

– Non Madame, vous êtes au service confinement.

– Mais où est passé le service après-vente ?

– On ne vend plus, Madame, il n’y a donc plus besoin de service après-vente.

– Mais alors, comment je peux faire mes courses, moi ?

– Faites-vous livrer, Madame, et restez chez vous. Vous avez quel âge ?

– 86 ans. J’ai pas d’ordinateur.

– Appelez le magasin, ils pourront sans doute vous aidez.

– Je l’ai déjà appelé.

– Et alors ?

– Je suis tombée sur vous.

Boris Johnson : No deal pour le Parlement

Vous l’aurez sans doute remarquée, car elle fait l’actualité. La décision de Boris Johnson, Premier Ministre du Royaume-Uni, de suspendre provisoirement le Parlement, fait débat.

Il faut dire que l’heure n’est guère aux réjouissances de l’autre côté de la Manche. En pleine tourmente sur la question du Brexit, les éminences politiques locales, qui planchent déjà à reconstituer leur base électorale fragmentée (c’est le cas des travaillistes notamment), n’avaient guère besoin d’un fanfaron pour obscurcir encore plus des négociations avec Bruxelles pourtant fort peu éclairées.

Manifestants anti-Brexit devant le parlement britannique, à Londres (Westminster), le 28 août 2019. HENRY NICHOLLS / REUTERS

Mais voilà, celui qu’une partie de la presse internationale a surnommé « le Trump britannique » porte bien son surnom. Outre sa ressemblance physique avec le principal intéressé, Boris Johnson partage avec l’actuel Président des Etats-Unis un certain goût pour le coup d’éclat politique, une tendance à être en campagne permanente, et des actions polémiques soutenues par des propos qui ne le sont guère moins. Et c’est conformément à de telles valeurs que le Premier Ministre britannique a décidé de suspendre pour une durée de deux semaines le Parlement.

Ainsi, l’option du Brexit dit « dur », ou « no deal », c’est-à-dire sans accord avec l’Union Européenne, se dessine encore un peu plus. Et avec lui, la perspective d’un monde en pleine crise sociale, gouverné par des extrêmes que la démocratie n’enchante guère. Car suspendre Westminster, c’est suspendre les discussions entre partis politiques opposés, mais qui tentent de s’unir face à l’Histoire, ou tout du moins de ne pas s’entre-déchirer. Suspendre Westminster, c’est réduire à un balbutiement le cri d’une grande partie de la nation, le cri des partisans d’un Brexit « doux » ou le cri des pas partisans du tout, le cri de ceux qui ont voté, et de ceux qui ne l’ont pas fait.

Boris Johnson a suspendu le Parlement. En cela, il suspend le temps de deux semaines la démocratie au sein du royaume. Que la Reine s’en émeuve ou non, n’oublions pas une chose. A chaque jour qui se rapproche du Brexit no deal, une lumière s’éteint. Mais lorsque le temps est suspendu, chaque protestation, chaque voix du peuple en faveur de l’unité et de la paix politique est une lumière qui s’allume. Espérons que le Royaume-Uni brille un jour de mille feux, de nouveau, de quoi faire cesser le tonnerre des populismes, des démagogies, et des politiques qui n’en sont plus.

Haut les chœurs ! #2 – Bob Dylan’s Dream (Analyse)

Haut les chœurs ! Cet article est la suite d’un précédent billet concernant la chanson Bob Dylan’s Dream. Si vous n’avez pas lu l’article précédent, je vous invite à le lire en cliquant sur le bouton ci-dessous :

While riding on a train goin’ west
I fell asleep for to take my rest
I dreamed a dream that made me sad
Concerning myself and the first few friends I had

With half-damp eyes I stared to the room
Where my friends and I’d spent many an afternoon
Where we together weathered many a storm
Laughin’ and singin’ till the early hours of the morn

By the old wooden stove where our hats was hung
Our words was told, our songs was sung
Where we longed for nothin’ and were satisfied
Jokin’ and talkin’ about the world outside

With hungry hearts through the heat and cold
We never much thought we could get very old
We thought we could sit forever in fun
But our chances really was a million to one

As easy it was to tell black from white
It was all that easy to tell wrong from right
And our choices they was few so the thought never hit
That the one road we traveled would ever shatter or split

How many a year has passed and gone?
And many a gamble has been lost and won
And many a road taken by many a first friend
And each one I’ve never seen again

I wish, I wish, I wish in vain
That we could sit simply in that room again
Ten thousand dollars at the drop of a hat
I’d give it all gladly if our lives could be like that

Parolier : Bob Dylan

L’inévitable passage du temps

Dès le quatrième couplet, Bob Dylan’s Dream a changé d’optique : le narrateur – ici Bob Dylan – ne raconte plus ses souvenirs de jeunesse, il ne les revit plus, mais les évoque avec un regard plus adulte, plus mature. Symboliquement, on pourrait dire que le temps a repris son cours, et que le train, désormais, file vers l’avenir sans que personne ne puisse regarder par ses fenêtres, qui sont celles du passé. Cela se remarque musicalement : les premiers ponts musicaux à l’harmonica apparaissent, signe que le narrateur est en proie aux vicissitudes du temps, mimées par la rythmique très particulière de l’harmonica. Dans le texte, on note la disparition des verbes d’actions au profit de verbe plus descriptifs, plus neutres : le narrateur est condamné à se rappeler sa jeunesse, et ne peut plus la vivre.

As easy it was to tell black from white
It was all that easy to tell wrong from right

Aussi facile qu’il était de distinguer le noir du blanc

Il était tout aussi facile de distinguer le vrai du faux

Bob Dylan, plus tard (vers 1965), avec ses amis Cher et Sonny.

Par la suite, cette prise de conscience de la fuite du temps prend de l’ampleur, de telle sorte que l’avant-dernier couplet marque une ellipse considérable par rapport aux souvenirs évoqués précédemment, comme s’il s’agissait d’une autre vie. En outre, à travers l’anaphore suivante,

How many a year has passed and gone?
And many a gamble has been lost and won
And many a road taken by many a first friend

Combien d’années sont passées, parties ?

Et combien de paris furent gagnés et perdus

Et combien de routes empruntées par combien d'[e mes premiers] amis […]

on remarque que tout les événements qui se sont déroulés depuis cette période sont nombreux, mais finalement peu importants à côté de l’amitié qui, elle, est unique, en témoigne le « each » (« chacun », ici) qui vient rompre l’anaphore en « how many » (« combien ») :

And each one I’ve never seen again

Et je ne les ai plus jamais revus [chaque ami, ndr] 

L’enfance perdue comme idéal

Le tout dernier couplet fait office de conclusion de la chanson. D’abord, Dylan s’attriste une dernière fois de cette époque perdue, regrettant la fameuse pièce du train, allégorie de sa jeunesse.

I wish, I wish, I wish in vain
That we could sit simply in that room again

J’espère, j’espère, j’espère en vain

Que nous puissions de nouveau nous asseoir dans cette pièce

Les deux derniers vers, enfin, tirent les leçons des précédents. Le narrateur n’essaye plus de revivre ses souvenirs, mais tente d’en tirer des principes de vie. La métaphore « at the drop of a hat » (« au creux d’un chapeau ») introduit un parallélisme avec le rêve américain, et le personnage de l’Oncle Sam. Cela reflète la beauté, l’espoir du rêve, mais aussi la désillusion qu’il apporte, lorsqu’on pense notamment aux immigrés irlandais arrivés dans les années 1860 à cause de la famine : ceux-ci furent parfois victimes d’un moins-disant social, et par conséquent mal payés.

Bob Dylan écrivant sur sa machine à écrire, vers 1963.

Pour terminer sur une note plus positive (ou presque…!), au vu du dernier vers, on peut considérer Bob Dylan’s Dream comme une ode à l’amitié, à la simplicité, à la sincérité. Une ode à la musique, donc, teintée d’un léger pessimisme avec l’emploi du conditionnel, qui sous-entend, à la manière du Petit Prince, que les enfants mènent une vie meilleure que les adultes.

Ten thousand dollars at the drop of a hat
I’d give it all gladly if our lives could be like that

Dix-mille dollars au creux d’un chapeau

Je les donnerais joyeusement si nous pouvions vivre ainsi

Cette analyse est terminée, j’espère que le concept vous aura plu ! Je pense en refaire d’autres prochainement, même si cela me prend beaucoup de temps. N’hésitez pas à écrire votre avis en commentaire !

Youtubeurs – Episode 1 – Joueur du Grenier, créateur intemporel

JDG. Je suis abonné à cette chaîne depuis plus de sept ans, et c’est l’une des rares qui ne m’a jamais déçu. Mieux, elle m’a parfois agréablement surpris, alors que j’aurais pu m’en lasser durant certaines périodes.

Des tests teintés d’humour

Joueur du Grenier, que nous abrégerons « JDG », est présent depuis une dizaine d’années (!) sur YouTube. Il est spécialisé dans le test de jeux vidéos rétros, par exemple sur NES ou Megadrive. Mais JDG, accompagné de son fidèle acolyte « Seb »,  ne teste pas simplement de vieux jeux. Il leur redonne vie. D’abord, par son humour, à mi-chemin entre l’absurde et le vulgaire, avec un brin de sarcasme, JDG tourne en dérision les défauts de chaque jeu testé, mettant en avant l’absurdité d’une mécanique ou une bande-son qui met nos oreilles au supplice. A tel point que même le sponsoring qui apparaît sur les dernières vidéos est réalisé au second degré, en une sorte d’auto-parodie unique en son genre.

Une histoire à chaque épisode

En outre, ce qui fait le succès de JDG, c’est, à mon sens, la partie fiction des vidéos, qui a considérablement gagné en qualité au fil des années. En effet, un épisode (qui dure environ 30min) ne se résume pas à un simple test humoristique. Les séquences de « test » sont liées entre elles par une partie « narration », qui fait notamment appels à un jeu d’acteur certes amateur, mais néanmoins tout à fait convainquant, ainsi qu’à des effets spéciaux originaux, « faits maison », reprenant l’univers du jeu vidéo testé.

JDG, original, intemporel

En définitive, on pourrait se dire qu’après tout, le public de cette chaîne est soit jeune — les jeunes ont globalement plus de temps pour jouer aux jeux vidéos et s’y intéresser que des adultes — soit relativement âgé — jeux rétros oblige, cela peut rebuter certains jeunes. Au final, si l’on mélange tous ces ingrédients, on obtient un contenu intemporel, capable de plaire à tout âge, qui conserve son originalité au fil du temps malgré son caractère « tout public ».

Le générique de début de vidéo, sur une musique de Yannick Crémer, est emblématique de l’intemporalité de la chaîne, caractéristique qui se fait rare sur YouTube. JDG fêtera ses 10 ans en Mai. D’ici là, on lui souhaite bonne route, à travers les dédales d’un grenier vidéo-ludique qui, à chaque épisode, exhume une nouvelle surprise.

Haut les chœurs ! #1 – Bob Dylan’s Dream (Analyse)

Haut les chœurs ! Nouvelle série d’articles, où je vous parlerai des mes coups de cœur musicaux. Mon objectif est d’analyser une seule chanson, en vous proposant une analyse plurielle qui mêle commentaire littéraire et critique musicale. Aujourd’hui, on va s’intéresser à Bob Dylan’s Dream, parue sur l’album The Freewhelin’ Bob Dylan en 1963. Le ressenti existentiel exprimé dans cette chanson, tant par la nostalgie du texte que par l’éblouissante simplicité de la musique qui le reflète, m’a particulièrement captivé. Et que dire de la voix, tout à fait atypique, à la fois celle d’un enfant et celle de l’auteur adulte, voire empreint d’une sagesse étonnante. Bref, c’est parti pour une petite analyse de la chanson ! Je vous encourage à l’écouter (si nécessaire avec une traduction des paroles), avant de lire mon interprétation. J’analyse le texte original, mais une traduction s’affichera pour celles et ceux qui le souhaitent. Bonne lecture !

While riding on a train goin’ west
I fell asleep for to take my rest
I dreamed a dream that made me sad
Concerning myself and the first few friends I had


With half-damp eyes I stared to the room
Where my friends and I’d spent many an afternoon
Where we together weathered many a storm
Laughin’ and singin’ till the early hours of the morn


By the old wooden stove where our hats was hung
Our words was told, our songs was sung
Where we longed for nothin’ and were satisfied
Jokin’ and talkin’ about the world outside


With hungry hearts through the heat and cold
We never much thought we could get very old
We thought we could sit forever in fun
But our chances really was a million to one


As easy it was to tell black from white
It was all that easy to tell wrong from right
And our choices they was few so the thought never hit
That the one road we traveled would ever shatter or split


How many a year has passed and gone?
And many a gamble has been lost and won
And many a road taken by many a first friend
And each one I’ve never seen again


I wish, I wish, I wish in vain
That we could sit simply in that room again
Ten thousand dollars at the drop of a hat
I’d give it all gladly if our lives could be like that

Parolier : Bob Dylan

Note de l’auteur : je m’intéresse ici à la première partie de la chanson. Le reste paraîtra dans un futur article.

Le voyage par le rêve

Le premier couplet nous donne le contexte de la chanson, et déjà de multiples symboles apparaissent.

A train goin’ west

Un train allant vers l’Ouest

Le train implique ici un mouvement symbolique, linéaire, qui annonce que la suite de la chanson se déroule « hors du temps ». En effet, pour le voyageur, seul l’environnement extérieur change, l’intérieur du train étant toujours le même.

L’Ouest est également symbolique : la destination est un topos dans la contre-culture américaine des années 1960, incarnant la liberté, le renouveau. Dylan s’inscrit pleinement dans ce mouvement ; l’un des exemples est sa proximité littéraire avec Jack Kerouac, chef de file de la beat generation et auteur de Sur la route, que Dylan a lu avec intérêt.

Bob Dylan’s Dream : une analepse rêvée…

Les deux couplets suivants marquent le début du « rêve », réminiscence des premières amitiés du poète. Ainsi, vous remarquerez la symétrie des deux couplets, qui finissent par la même tournure de phrase :

Couplet 2

Laughin’ and singin’ till the early hours of the morn

Riant et chantant jusqu’aux premières heures du matin

Couplet 3

Jokin’ and talkin’ about the world outside

Plaisantant et parlant du monde extérieur

On notera ici le lien avec le premier couplet, à travers la présence d’un « monde extérieur » au train, par opposition au monde « intérieur », c’est-à-dire le rêve lui-même.

With half-damp eyes

Les yeux à moitié humides

Les larmes, qui font écho au terme « sad » (« triste ») du premier couplet, placent la chanson dans le registre élégiaque, ce qui nuance la suite, évocation de souvenirs heureux.

…ou presque

Les couplets 2 et 3 sont pareillement riches en parallélismes de construction, de sorte que les paroles semblent s’écouler facilement, reflétant le sentiment de confiance et d’insouciance éprouvé par Dylan lorsqu’il vécut ces moments :

Couplet 2

Where my friends and I’d spent many an afternoon
Where we together weathered many a storm

Où mes amis et moi avions passé maints après-midi

Où nous avons affronté ensemble maintes tempêtes

Couplet 3

[…] Our hats was hung
Our words was told, our songs was sung (sic)

Nos chapeaux étaient accrochés

Nos mots volaient, nos chansons résonnaient

Notons ici, en plus de l’anaphore – que j’ai traduite comme je l’ai pu – la présence d’une anacoluthe, figure de style visant à laisser volontairement une erreur dans le texte. Ici, « hats », « words » et « songs » sont au pluriel, il aurait donc fallu écrire « were » au lieu de « was ». Ce procédé souligne l’aspect onirique du souvenir, et laisse entrevoir un flou, une prise de distance quant aux événements évoqués.

Hibbing, Minnesota (vers 1950). Bob Dylan y passa une partie de son adolescence, et les souvenirs évoqués dans Bob Dylan’s Dream y font probablement référence. Tous droits réservés.

Illusion ou insouciance ?

Passons au couplet suivant. Vous allez le constater, un basculement commence à s’opérer dans la chanson :

We never much thought we could get very old
We thought we could sit forever in fun

Nous ne pensions jamais que nous serions plus vieux [un jour]

[Mais] nous pensions demeurer dans l’amusement toujours

Outre le premier vers cité, qui résume de lui-même toute l’insouciance de la jeunesse vue par un adulte toujours jeune dans l’âme, le second a retenu mon attention. « Sit forever in fun » se traduit littéralement par « assis toujours dans l’amusement », la joie. Et la métaphore est belle puisque, dans le rêve où Dylan nous plonge, nous sommes dans un train. Ce qui confirme l’interprétation que j’ai faite plus haut, à savoir le train comme allégorie du temps qui passe. On peut voir ici que le train, qui auparavant semblait hors du temps, y est maintenant vulnérable. C’est en tout cas ce dont Dylan et ses amis prennent conscience ici.

A la fin du couplet, en plus du pont musical joué à la guitare, l’harmonica fait sa première apparition dans la chanson, signe d’un changement d’état d’esprit au sein du Bob Dylan’s Dream.

Le Bac

C’est curieux, tout de même. On nous proposait, il y a des années de cela, de quitter sagement les bacs à sable pour sortir du bassin de la petite enfance et nous plonger dans le grand bain de l’enfance tout court qui, à l’époque, nous semblait si mystérieuse. Et voilà que, une quinzaine d’années plus tard, pour clôturer notre (long !) passage dans l’enseignement secondaire, pour symboliser notre « prise de maturité intellectuelle », on nous propose à nouveau d’entrer dans le Bac !

Eh ! Quoi ! Le Bac ! Encore ! Il faut dire que le bac à sable, ici, est bien plus imposant. Et les jouets qui l’accompagnent bien plus sophistiqués : fiches, annales, vidéos humoristiques d’un côté, familles, amis, et distractions en tout genre de l’autre, et quoique les deux se rencontrassent parfois, rien n’est laissé au hasard pour que l’enfant (ou plutôt, le lycéen, mais l’objectif est le même) se sente à la fois accompagné et soit suffisamment impliqué dans la besogne par la présence de stimulis, certes moins enfantins a priori qu’un râteau ou une pelle, mais tout aussi efficaces.

Précisons, tout de même, quelque chose. Ou plutôt, attardons-nous, sur quelque chose. Le baccalauréat, dans son appellation complète, fait la part belle aux « lauréats », que nous omettons d’ailleurs de nommer la plupart du temps. Très significatif, cet oubli, cet écorchement populaire du mot. Car oui, lauréat, mais de quoi ? D’un bac à sable remastérisé ? D’un bout de papier mention très bien ? D’une année dont on retient davantage les frasques professorales (souvent légitimes, il faut le souligner) que les heures servant à nous expliquer les dynamiques spatiales américaines ? C’est dire si l’image de « lauréat » a largement décliné dans notre société contemporaine française, image à laquelle on privilégie l’expression :

Le bac en poche.

L’année de Terminale, décidément, est bien peu remplie. Car les préoccupations principales de tout accompagnant à l’élève, ce ne sont rien de moins que le futur. Le futur, ce petit mot fuyant qui désigne l’immensité de l’avenir qui approche, voilà qui est essentiel. Et ce que l’on y fera, surtout, intéresse grandement le parterre lycéen. Bien plus, parfois, que le lycéen lui-même.

En effet, toutes, des professeurs aux conseillers d’orientation (lorsqu’ils existent, c’est dire…), en passant par la famille, toutes ces gens ma foi tout à fait bienveillantes expriment le souhait que les lycéens sachent ce qu’ils veulent. Et ce tandis qu’on nous batine la conscience avec le fait que :

Savoir ce que nous voulons pourrait potentiellement nous aider dans la vie.

Mais l’Etat, le Ministère de l’Education Nationale, à travers leurs amphigouris démocratiques, ne savent toujours pas, eux, s’ils veulent que le monde demain soit arpenté par des adultes ou idéalisé par des enfants. On leur souhaite de prendre leur décision au plus vite.

Le Canard Enchaîné

Premier article d’une série consacrée à la presse française, que je lis régulièrement. J’y aborderai différents titres (de façon non exhaustive), et vous livrerai un point de vue atypique sur le contenu, le style, la ligne éditoriale. Je prospecterai également quant à l’avenir de ladite publication nommée en sus de l’en-tête de l’article correspondant à ce que de droit.

XXIe siècle. En France, la presse satirique est fièrement portée par des titres historiques tels que Le Canard Enchaîné ou Charlie Hebdo, mais décline largement par rapport aux siècles précédents. La presse satirique ne tire plus trop sur tout ce qui bouge, mais il arrive qu’elle se fasse tirer dessus dès qu’elle bouge, ce qui, nous devons le souligner, est d’une cruauté indescriptible. On peut comprendre, dès lors, la timidité d’un genre journalistique qui a pourtant de beaux articles derrière (et devant) lui. Zoom sur Le Canard Enchaîné, porteur d’une plume fine et acérée, et dont la lecture, il faut bien l’avouer, n’est pas des plus rassurantes quant à l’avenir de la classe politique française.

Un ton pas piqué des hannetons

Un phrasé qui regorge de jeux de mots, dès le titre, égratignant sans commune mesure les personnalités du moment politiquement mises en causes. Ainsi, à propos de l’affaire Fillon, le journal titrait en Une (datée du 1/02/17) une subtile prosopopée de M. Fillon,

« Mais puisque je vous dis que Pénélope [sa compagne, ndr] n’a rien fait ! »

En déroulant ensuite le journal, on y trouve quantité d’articles écrits dans ce même registre, une satire fine, efficace, usant de la métaphore, souvent préférée aux critiques frontales. Les métaphores et autres comparaisons instaurent une certaine distanciation quant aux événements commentés, sans rendre trop lisse pour autant l’humour employé, qui oscille, selon les plumes et les circonstances, entre traits d’esprit qui nous rappelle aux bons souvenirs de Pierre Desproges, et une satire plus légère, digne, dans le texte, des Coluche et consorts.

Un Canard calmement déchaîné

Nous en serions néanmoins fort peu rassasiés, si l’hebdomadaire se contentait d’une actualité conduite par un humour, certes fin, mais sans analyse de fond. Non pas qu’il y ait quelque honte intellectuelle que d’écrire de la sorte; mais, comme l’engagement du journal est connu de tous les lecteurs, on a jugé bon, ici, d’en faire voir une analyse à la fois argumentative et idéologique.

Il apparaît que le journal se révèle très adroit pour mettre en évidence les contradictions de nos chers politiques. Reprenons l’exemple de l’affaire Fillon : un homme qui se disait exemplaire, incitant les autres à suivre son exemple. Jusqu’au jour où l’on s’est rendu compte que l’exemple n’était que sophisme et pure rhétorique

On vous rassure tout de suite : ce n’est sans doute pas le seul. Mais comme disait Coluche :

On est emmerdés, hein ?

La rentrée

Take Our Poll

La première chose qui me vient à l’esprit, lorsque j’entends ce mot synonyme de marronnier journalistique, c’est : pourquoi ? Oui, pourquoi avoir créé une telle journée qui, indépendamment du fait de nous faire émerger brutalement de nos vacances, n’a d’autres buts, pour moi qui entame ma dernière année de lycée à l’heure où j’écris ces lignes, que d’accomplir des formalités dont nous nous passerions volontiers. Mais puisque nous sommes encore imprégnés des dernières — et je l’espère éternelles — marques d’optimisme de l’enfance, penchons-nous en premier lieu sur les aspects positifs de ladite rentrée. Tout d’abord, on revoie ses amours, ses amis, ses ennemis aussi, bref, on revoie toutes celles et ceux qu’on avait pas croisé pendant deux mois. Secondement, la rentrée, pour nous élèves mais également pour nos très chers et bien-aimés professeurs, ne dure qu’une heure. Cela laisse présumer, tout de même, de l’utilité de l’événement, que nous allons aborder par la suite.

La suite, justement, nous y voilà. Abordons maintenant les questions dites « qui fâchent ». Commençons par préciser que le terme est désuet. En effet, pour quiconque ne redouble pas une classe, on « entre » dans une autre classe pour la première fois : il est donc impossible de « rentrer » stricto sensu. Cependant, l’essentiel du problème de la rentrée réside dans son aspect psychologique : pour un élève, quel que soit son âge, il est bien rare que celui-ci veuillent spontanément quitter ses vacances. Ainsi, la rentrée est, de fait, peu engageante de part sa pénibilité. De plus, plutôt que de nous faire assimiler l’école (en général, tous niveaux confondus) à quelque chose d’utile et de nécessaire — du moins sur la forme, il n’est pas question ici de disserter en profondeur quant à l’enseignement français — la rentrée fait prendre au retour de vacances une importance démesurée et dérisoire, faisant d’un simple retour à la normale pour les élèves une sorte de corvée obligatoire aussi rebutante que l’oeuvre littéraire de François Mauriac : un manque cruel d’action qui pourrait, le cas échéant, susciter l’intérêt des gens qui y participent.