Haut les chœurs ! #1 – Bob Dylan’s Dream (Analyse)

Haut les chœurs ! Nouvelle série d’articles, où je vous parlerai des mes coups de cœur musicaux. Mon objectif est d’analyser une seule chanson, en vous proposant une analyse plurielle qui mêle commentaire littéraire et critique musicale. Aujourd’hui, on va s’intéresser à Bob Dylan’s Dream, parue sur l’album The Freewhelin’ Bob Dylan en 1963. Le ressenti existentiel exprimé dans cette chanson, tant par la nostalgie du texte que par l’éblouissante simplicité de la musique qui le reflète, m’a particulièrement captivé. Et que dire de la voix, tout à fait atypique, à la fois celle d’un enfant et celle de l’auteur adulte, voire empreint d’une sagesse étonnante. Bref, c’est parti pour une petite analyse de la chanson ! Je vous encourage à l’écouter (si nécessaire avec une traduction des paroles), avant de lire mon interprétation. J’analyse le texte original, mais une traduction s’affichera pour celles et ceux qui le souhaitent. Bonne lecture !

While riding on a train goin’ west
I fell asleep for to take my rest
I dreamed a dream that made me sad
Concerning myself and the first few friends I had


With half-damp eyes I stared to the room
Where my friends and I’d spent many an afternoon
Where we together weathered many a storm
Laughin’ and singin’ till the early hours of the morn


By the old wooden stove where our hats was hung
Our words was told, our songs was sung
Where we longed for nothin’ and were satisfied
Jokin’ and talkin’ about the world outside


With hungry hearts through the heat and cold
We never much thought we could get very old
We thought we could sit forever in fun
But our chances really was a million to one


As easy it was to tell black from white
It was all that easy to tell wrong from right
And our choices they was few so the thought never hit
That the one road we traveled would ever shatter or split


How many a year has passed and gone?
And many a gamble has been lost and won
And many a road taken by many a first friend
And each one I’ve never seen again


I wish, I wish, I wish in vain
That we could sit simply in that room again
Ten thousand dollars at the drop of a hat
I’d give it all gladly if our lives could be like that

Parolier : Bob Dylan

Note de l’auteur : je m’intéresse ici à la première partie de la chanson. Le reste paraîtra dans un futur article.

Le voyage par le rêve

Le premier couplet nous donne le contexte de la chanson, et déjà de multiples symboles apparaissent.

A train goin’ west

Un train allant vers l’Ouest

Le train implique ici un mouvement symbolique, linéaire, qui annonce que la suite de la chanson se déroule « hors du temps ». En effet, pour le voyageur, seul l’environnement extérieur change, l’intérieur du train étant toujours le même.

L’Ouest est également symbolique : la destination est un topos dans la contre-culture américaine des années 1960, incarnant la liberté, le renouveau. Dylan s’inscrit pleinement dans ce mouvement ; l’un des exemples est sa proximité littéraire avec Jack Kerouac, chef de file de la beat generation et auteur de Sur la route, que Dylan a lu avec intérêt.

Bob Dylan’s Dream : une analepse rêvée…

Les deux couplets suivants marquent le début du « rêve », réminiscence des premières amitiés du poète. Ainsi, vous remarquerez la symétrie des deux couplets, qui finissent par la même tournure de phrase :

Couplet 2

Laughin’ and singin’ till the early hours of the morn

Riant et chantant jusqu’aux premières heures du matin

Couplet 3

Jokin’ and talkin’ about the world outside

Plaisantant et parlant du monde extérieur

On notera ici le lien avec le premier couplet, à travers la présence d’un « monde extérieur » au train, par opposition au monde « intérieur », c’est-à-dire le rêve lui-même.

With half-damp eyes

Les yeux à moitié humides

Les larmes, qui font écho au terme « sad » (« triste ») du premier couplet, placent la chanson dans le registre élégiaque, ce qui nuance la suite, évocation de souvenirs heureux.

…ou presque

Les couplets 2 et 3 sont pareillement riches en parallélismes de construction, de sorte que les paroles semblent s’écouler facilement, reflétant le sentiment de confiance et d’insouciance éprouvé par Dylan lorsqu’il vécut ces moments :

Couplet 2

Where my friends and I’d spent many an afternoon
Where we together weathered many a storm

Où mes amis et moi avions passé maints après-midi

Où nous avons affronté ensemble maintes tempêtes

Couplet 3

[…] Our hats was hung
Our words was told, our songs was sung (sic)

Nos chapeaux étaient accrochés

Nos mots volaient, nos chansons résonnaient

Notons ici, en plus de l’anaphore – que j’ai traduite comme je l’ai pu – la présence d’une anacoluthe, figure de style visant à laisser volontairement une erreur dans le texte. Ici, « hats », « words » et « songs » sont au pluriel, il aurait donc fallu écrire « were » au lieu de « was ». Ce procédé souligne l’aspect onirique du souvenir, et laisse entrevoir un flou, une prise de distance quant aux événements évoqués.

Hibbing, Minnesota (vers 1950). Bob Dylan y passa une partie de son adolescence, et les souvenirs évoqués dans Bob Dylan’s Dream y font probablement référence. Tous droits réservés.

Illusion ou insouciance ?

Passons au couplet suivant. Vous allez le constater, un basculement commence à s’opérer dans la chanson :

We never much thought we could get very old
We thought we could sit forever in fun

Nous ne pensions jamais que nous serions plus vieux [un jour]

[Mais] nous pensions demeurer dans l’amusement toujours

Outre le premier vers cité, qui résume de lui-même toute l’insouciance de la jeunesse vue par un adulte toujours jeune dans l’âme, le second a retenu mon attention. « Sit forever in fun » se traduit littéralement par « assis toujours dans l’amusement », la joie. Et la métaphore est belle puisque, dans le rêve où Dylan nous plonge, nous sommes dans un train. Ce qui confirme l’interprétation que j’ai faite plus haut, à savoir le train comme allégorie du temps qui passe. On peut voir ici que le train, qui auparavant semblait hors du temps, y est maintenant vulnérable. C’est en tout cas ce dont Dylan et ses amis prennent conscience ici.

A la fin du couplet, en plus du pont musical joué à la guitare, l’harmonica fait sa première apparition dans la chanson, signe d’un changement d’état d’esprit au sein du Bob Dylan’s Dream.

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